Migrants : l’Angleterre doit prendre ses responsabilités

31 juillet 2015 Non Par Les_migrants_afrique

Migrants : l’Angleterre doit prendre ses responsabilités

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Après la mort d’un Soudanais tentant de rejoindre l’Angleterre, Henri Labayle décrypte la crise migratoire actuelle. Selon lui, l’Europe est confrontée à un défi sans précédent.

Henri Labayle est professeur agrégé de droit à la faculté de Bayonne et à l’université de Pau. Il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure. Il est membre du réseau Odysseus et directeur du GDR «Droit de l’espace de liberté, sécurité, justice».


LE FIGARO. – Cet incident révèle-t-il un échec dans le traitement des migrants en situation irrégulière, opéré par le gouvernement? Comment ce dernier pourrait-il régler ce type d’incident?

Henri LABAYLE: – La responsabilité de la situation excède largement celle du gouvernement actuel. Depuis plus de quinze ans, la question de Sangatte, hier, et de Calais, aujourd’hui, empoisonne le débat public sur la question migratoire. Elle coïncide avec l’ouverture du tunnel sous la Manche. Nul n’a donc de leçon à donner en la matière, à droite comme à gauche. Quitte à déplaire aux amateurs de solutions toutes faites, je crains d’ailleurs que la gravité du problème excède largement la compétence des acteurs en présence. Ni l’Europe dans sa globalité, ni la France dans sa singularité ne sont aujourd’hui en capacité de faire face à une pression migratoire sans précédent, directement issue des conflits qui nous entourent. Tant que l’on n’aura pas assimilé cette donnée et accepté d’aborder lucidement une question qui est d’une extrême complexité, nous serons réduits à contempler ce spectacle navrant. Il n’est peut être qu’un spectacle pour nous mais bien une question de vie ou de mort pour ceux qui en sont les victimes, comme dans ce cas. Gardons-le à l’esprit.

Alors pour vous répondre clairement: échec consternant, oui, évidemment. Echec de nous tous, Français comme Européens, à maîtriser les flux migratoires et le contrôle de nos frontières. Deux tempéraments pourtant à ce constat. D’abord, qui peut prétendre raisonnablement qu’un Etat pourrait aujourd’hui faire face, seul, à une vague de cette importance? Contrairement à ce que l’on prétend, Schengen n’est pas un échec mais n’a pas été conçu pour un contexte aussi grave. Crédible par temps calme, son fonctionnement appelle un renforcement dans les circonstances actuelles. De plus, la situation en Turquie s’aggrave alors qu’elle héberge l’essentiel des réfugiés fuyant le conflit à sa porte, quelle sera notre réponse demain?

Ces migrants désirent rejoindre le Royaume-Uni, qui leur refuse l’entrée sur le territoire ; ils demeurent donc à Calais, ou en périphérie, dans la «nouvelle jungle», une ancienne décharge. Comment dénouer le double problème qui se pose: précarité des migrants et insécurité pour les Calaisiens?

C’est la quadrature du cercle. Rendez-vous compte: les migrants de Calais rencontrent aujourd’hui presque autant de difficultés à sortir de l’espace Schengen qu’ils en ont éprouvé à y pénétrer quelques semaines plus tôt, là aussi souvent au péril de leur vie. Ceci pour accéder à un Etat de l’Union, le Royaume Uni, qui refuse de faire partie de cet espace! Comment le comprendre?

Nous sommes aujourd’hui les garde-frontières d’un autre Etat, lequel est même prêt à nous aider à financer sa propre protection. Ici encore, soyons francs: ce qui se passe à Calais est directement la conséquence de la situation dérogatoire accordée à la Grande-Bretagne au regard de Schengen, ajoutée aux différents arrangements relatifs au tunnel sous la Manche, au début des années 2000, qui délocalisent les zones de contrôle frontaliers britanniques en France. Point à la ligne.

Ces migrants ne désirent en rien demeurer en France, ils sont en transit. Si nous étions aussi irresponsables que certains de nos voisins, nous fermerions les yeux sur leur passage, malgré les accords passés. Il serait donc peut être temps de gérer le dossier dans son intégralité, de façon enfin politique, au lieu de se féliciter des deux kilomètres de barrière que nos voisins vont bientôt nous livrer.

C’est dire l’impasse dans laquelle la politique migratoire en Europe se trouve et je me reconnais souvent dans les appels au réalisme et à l’équilibre que Maxime Tandonnet développe régulièrement dans vos colonnes. Il est vain, même en allant à la pêche aux voix, de se défausser sur «Schengen» ou sur l’Europe et de masquer ainsi les multiples défaillances des Etats ou leur refus de s’attaquer aux causes immédiates de cette pression migratoire. La première explication en l’espèce est en Syrie, au Soudan, en Irak, en Erythrée, en Afghanistan d’où ces migrants proviennent en majorité. Comment nier que, le plus souvent, leur vie soit en cause et que ce soit la justification de leur fuite? Le reste n’est que conséquence. S’il est une solution, elle est à l’extérieur, dans la recherche de la paix ou du développement.

Que font ces migrants durant des semaines voire des mois? Ont-ils une activité? Pourquoi veulent-ils aller en Angleterre?

Ils attendent, entre les mains des passeurs qui les oppriment et dont on pourrait se préoccuper davantage, en priorité absolue d’une action répressive qui pourrait être plus déterminée. Ils survivent grâce à l’action remarquable des associations caritatives, des ONG et de la ville de Calais. Et ils essaient chaque jour de passer . Quant aux raisons de leur attirance vers le Royaume Uni, on en connaît les causes, outre les facteurs linguistiques ou communautaires relatifs aux pays que j’ai cités: facilité d’emploi clandestin et absence de documents d’identité sont autant d’éléments que les passeurs font miroiter à des populations déjà convaincues. D’autant que, malgré le discours officiel de M. Cameron sur la «forteresse sécuritaire» que serait le Royaume-Uni, ce dernier demeure ouvert et donc attractif: Eurostat faisait ainsi état il y a quelques mois de ses 100 000 permis de résidence accordés en 2013 pour raisons économiques à rapprocher des 18 000 Français et des 27 000 Allemands. Pour qu’il y ait des migrants clandestins, il faut des employeurs.

Eurotunnel a renforcé sa sécurisation en augmentant son «dispositif de moyens humains et technologiques», indique la direction. L’entreprise demande à l’Etat de rembourser 9,7 millions d’euros liés à «cette pression migratoire» a indiqué son PDG. Est-ce à l’Etat ou à un groupe privé de payer pour les effets de cette immigration mal maîtrisée?

Poser la question est y répondre. Bien évidemment qu’il appartient à l’Etat et à lui seul d’assumer des missions

régaliennes telles que celle-ci, quoi qu’en dise un ministre qui a, parfois, une fâcheuse tendance à reporter ses responsabilités sur ses prédécesseurs ou ses partenaires. Cela étant, le contrat de concession comme les différents accords applicables règlent vraisemblablement le débat et Eurotunnel a certainement des obligations à satisfaire en la matière. L’Etat aura sans aucun doute les moyens de l’y amener.

La réforme du droit d’asile – notamment l’assignation à résidence des immigrés en situation irrégulière, qui remplace le placement en centre de détention – portée par Bernard Cazeneuve est-elle appropriée?

La question du droit d’asile ne concerne pas Calais: ces migrants ne souhaitent pas demander l’asile à la France. On a d’ailleurs assisté, il y a quelques semaines, à un spectacle assez surréaliste où le ministre de l’Intérieur les incitait à le faire! En revanche, s’il est question de migrants effectivement inéligibles à l‘asile, c’est davantage de l’exécution réelle des décisions d’éloignement qu’il faut se préoccuper que de l’assignation ou pas à résidence. La question cruciale est alors de trouver un Etat où les reconduire.

lefigaro