LA QUESTION MIGRATOIRE N’EST PAS UNE PRIORITE DES ETATS AFRICAINS

12 octobre 2015 Non Par Les_migrants_afrique

LA QUESTION MIGRATOIRE N’EST PAS UNE PRIORITE DES ETATS AFRICAINS

ALY TANDIAN, DIRECTEUR DU GROUPE D’ETUDES ET DE RECHERCHES SUR LES : MIGRATIONS & FAITS DE SOCIETES

«C’est vraiment regrettable, mais surtout affligeant de voir ces centaines de personnes qui cherchent à se rendre en Europe, sous le silence des gouvernements africains et du Moyen Orient ». La remarque est du sociologue Aly Tandian, Enseignant-chercheur, Directeur du Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Migrations & Faits de Sociétés. Dans cet entretien, il se demande ce que  l’OCI, l’Union africaine, l’UMEOA, etc. font du quotidien des migrants. Ce qui l’amène à conclure que la question migratoire est loin de constituer une priorité dans l’agenda des gouvernements africains. Le sociologue évoque aussi les  causes de l’immigration et préconise des solutions pour fixer les jeunes dans leur pays, à travers la création d’un Observatoire de l’emploi, permettant la prospection et la prospective.

Face aux flux migratoires, les pays d’accueil réagissent par la peur. Qu’est-ce qui l’explique ?

Vous savez,  la Sociologie des migrations et des relations interethniques nous aide à comprendre ces formes de stigmatisation assignées au migrant, cet Etranger voleur de poules et d’enfants. Dans la nouvelle désignation de l’étranger, migrant, on peut entendre dire, c’est le trafiquant et consommateur de drogues, porteur du VIH, cause de sa propre extermination. Celui qui profite des avantages sociaux. Voilà comment est défini le migrant aux yeux de l’électorat dans de nombreux pays d’installation. Ce faisant, il ne peut être que source de racisme et de xénophobie.

Quelles sont les couches de nos jours les plus tentées, par l’émigration dite clandestine au Sénégal ?

La confusion conceptuelle n’aide pas dans la compréhension et le traitement du phénomène ! Désigner les couches tentées par l’émigration clandestine me semble être difficile car l’émigration a maintenant affecté toutes les couches sociales, les sexes, les âges, les statuts socioprofessionnels, etc. Du jeune chômeur à l’agent de santé en passant par l’instituteur autant d’acteurs aux profils aussi différents les uns des autres peuvent être retrouvés parmi les candidats à l’émigration.

Aujourd’hui qu’est-ce qui caractérise l’émigration des pays africains ou des pays pauvres ?

L’émigration des pays africains ou des pays pauvres a connu un profond bouleversement dans sa caractérisation. Il y a quelques années, dans la précipitation on parlait de la féminisation de la migration, alors que les femmes sont dans les mouvements migratoires depuis belles lurettes. Seulement leurs rôles sont en latence et non manifestes. Les femmes ont toujours migré et fait migrer de nombreuses populations masculines. Je pense qu’on devrait plutôt s’interroger sur les identités féminines face aux nouvelles formes et figures migratoires. Il y a également la question des migrants hautement qualifiés, les influences des variations environnementales sur les migrations, la précocité des migrants ou des candidats à la migration, les transferts immatériels à travers les migrations, les nouvelles destinations, etc. Il existe autant d’éléments à mobiliser pour désigner l’émigration des pays africains ou des pays pauvres. Malheureusement, on ne connaît pas nos migrants et encore moins nos migrations.

On ne sait pas qui part, vers quelle destination, ni pour quelles raisons. Cela veut-il dire qu’on ne connaît pas non plus ceux qui sont arrivés à destination et ceux qui ont péri en route ? Qu’en est-il de la protection civile ?

Effectivement, il est très difficile de connaître de manière macro, les destinations, les profils, les durées de séjours des migrants. Il faut réaliser des recherches. Il faut mobiliser des ressources et des matériaux pour disposer de toutes ces informations. Données très importantes pour un Etat qui souhaiterait faire des études prospectives. Des équipes de recherche réalisent depuis quelques années, des études sur le profil des migrants, leurs âges, leurs catégories socioprofessionnelles, leurs activités dans les pays de transit et de destinations, les rythmes des transferts d’argents, les sources de financement de voyages, etc. Etudes qui ont également permis de constituer une base de données de plus de cinq cents associations de migrants à travers le monde. Des informations utiles qui pourraient servir d’échantillon pour réaliser une étude macro, assez exhaustive.
La question de la protection civile ainsi que de la protection sociale, doit être des priorités en matière de gouvernance des migrations. J’ignore pourquoi elles ne font pas partie de l’agenda politique de nos Etats en Afrique.

Les retombées économiques et démographiques de l’immigration en Occident sont très importantes. Pourquoi alors leurs politiques d’immigration se durcissent-elles vis-à-vis des immigrants ?

Si l’on prend à témoin ces flux massifs de migrants, qui d’ailleurs ne sont pas qu’un problème de syriens ou d’irakiens se rendant en Europe, on a pu constater que les Etats européens se dirigent vers la mise en place de quotas pour faire face à cette situation. Il est bon de se rappeler que l’immigration est actuellement le meilleur moyen de pallier le déclin démographique en Europe. Sans amalgame, en 2012, le taux de fécondité dans l’Union européenne ne dépassait pas 1,58 enfant par femme, voire 1,98 en France, l’un des pays où la natalité est la plus élevée. Si on y ajoute la disparition à venir de la génération des baby-boomers, la situation démographique deviendra critique. D’ici 30 à 40 ans, on assistera à un boom des décès, notamment en Europe du Nord et de l’Ouest. Dans ces conditions, l’immigration apparaît comme une solution indispensable pour freiner le déclin démographique de l’Europe.
D’après les récentes projections d’Eurostat, la population de l’Union européenne dans sa configuration actuelle diminuerait de 108 millions d’habitants à l’horizon 2080 en l’absence de migrations. Et dans l’hypothèse d’un apport de 121 millions de personnes sur cette période, la population augmenterait de 13 millions d’habitants en Europe.

Le ratio coût-avantage que vous venez de décrire est plus favorable que dangereux pour l’avenir de la démographie et de l’économie occidentale. N’y a-t-il pas des barrières ethnoculturelles qui expliquent ces rejets ?

En matière de gestion de la migration, il y a un réel enjeu géopolitique. Ce n’est pas une affaire de diplomatie du chéquier et encore moins des affectations de postes pour désaltérer une clientèle politique. Le ratio coût-avantage est bien maîtrisé par certains pays où se dirigent les migrants ! En Europe, les portes grandement ouvertes pour accueillir des syriens, irakiens, etc. ont été très rapidement fermées. Malgré les exigences de Schengen, les frontières sont à ce jour sous contrôle. Les questions de circulation, de mobilité ou de migration sont bien gérées par des spécialistes, des techniciens, de véritables géostratèges parce que le ratio coût-avantage, il faut le gérer et en temps réel, même si des impairs peuvent quelquefois exister. On ne peut pas continuer à tirer à boulets rouges sur les autres. Non, ils sont dans leurs rôles. Quels sont les nôtres ? On ne développe pas mais on se développe ! Je pense qu’à un moment il faut arrêter la victimisation et se pencher sur les priorités des populations.
Entre l’émigration «régulière» ou «irrégulière», l’Afrique est dépouillée de sa jeunesse. Quelles sont les conséquences de cette saignée?
Pourquoi partent-ils ? Les conditions de vie laissées dans les pays de départ ne sont-elles pas pires que celles qu’offrent les pays de transit ou d’installation ? Je pense qu’il serait bien de s’interroger sur les véritables causes efficientes de l’émigration régulière ou irrégulière. Dire que l’Afrique est dépouillée de sa jeunesse me pose problème. Quelles sont les véritables politiques d’emplois qui ont été mises en place pour retenir ces milliers de jeunes africains dans leur continent ?

Est-ce à dire que les départs de ces jeunes énergies et cerveaux, n’ont pas d’impact sur le développement économique des pays d’origine ?

On aime bien s’attarder sur des épiphénomènes. Comment reconnaître un cerveau ? Il faut quel diplôme pour être considéré comme un cerveau ? Juste pour caricaturer sans tomber dans la stigmatisation, une infirmière qui quitte l’Afrique pour devenir coiffeuse sur les plages d’Europe, est-ce qu’il faut parler de fuite ou de gain de cerveau ? Je pense que c’est aux pays d’origine de définir les stratégies indispensables pour garder leurs cerveaux. Et d’ailleurs quel est le pays qui ne souhaiterait pas accueillir les meilleurs informaticiens, financiers, physiciens, etc. du monde. Nous sommes à l’ère des mobilités, je pense que les technologies de l’information et de la communication devraient servir de raccourci aux pays d’origine pour une meilleure circulation de leurs cerveaux afin de bien profiter de leurs compétences.

Comment expliquez-vous le phénomène «Barça ou Barsaax »?

L’envie de se réaliser, le besoin d’échapper aux incessantes formes d’injustice, la quête d’un emploi réconfortant, une gouvernance angélique et un avenir alléchant sont, entre autres, autant de raisons justifiant la recrudescence du phénomène des embarcations. Embarcations de fortune, grillages de Ceuta ou barrages des Canaries et d’ailleurs, ne décourageront pas tous ceux pour qui, la galère d’un clandestin en Europe est préférable  au fait de croupir dans un village sans espoir du Sahel ou dans la banlieue oubliée d’une mégalopole africaine. La situation des candidats à la migration est-elle une priorité pour les politiques d’ici ou d’ailleurs ? Je n’en suis pas sûr. Le «Barça ou Barsaax» d’hier est aujourd’hui «l’Allemagne ou la Méditerranée» pour ces nombreux syriens, irakiens et subsahariens qui cherchent accueil péniblement.
Cela relèverait du miracle, que d’espérer des voix autorisées s’élever de certains pays du Moyen-Orient, lourdement affectés par la guerre. Mais en Afrique, avec autant d’institutions (CEDEAO, UMEOA, SADEC, Union africaine, etc.), d’Etats souverains ou de gouvernements souverains, je pense qu’on aurait dû entendre des voix inventant une nouvelle gouvernance des migrations, face aux politiques du Nord qui font dans le «bricolage concept», celui de «réfugié de guerre».

Tout donne l’impression que des cris de désespoir des migrants sont répondus par des échos silencieux des gouvernements africains et du Moyen Orient. N’est-ce pas ?

C’est vraiment regrettable, mais surtout affligeant de voir ces centaines de personnes qui cherchent à se rendre en Europe, sous le silence des gouvernements africains et du Moyen Orient. Je veux bien savoir ce que l’OCI, l’Union africaine, l’UMEOA, etc. font de leur quotidien. J’ai lu un communiqué de la CEDEAO relayé par un journal local, sur la question de la migration. Malheureusement elle a été évoquée hâtivement, ce qui d’ailleurs laisse penser qu’elle n’est pas prioritaire dans l’agenda des gouvernements africains.

Y a-t-il une politique de base en Afrique en général et au Sénégal en particulier, pour retenir les jeunes dans les terroirs ?

Ce n’est pas dans la compétition de la contestation que nous allons construire des Etats forts. C’est en aidant les populations surtout jeunes à être ambitieuses, innovantes et productives, que l’envie de partir à tout prix arrivera à s’estomper. L’Afrique a besoin d’une rupture dans sa manière d’associer les jeunes aux programmes politiques. Il nous faut arrêter de faire la promotion des brûleurs de pneus, des poseurs d’affiches et autres grands laudateurs. Je pense qu’en Afrique nos Etats se sont longtemps amusés à se complaire dans le grand tâtonnement en matière de mise en place de véritables politiques d’emploi. L’horizon n’est pas bouché. Il ne doit pas l’être d’ailleurs car nous nous devons des exigences en matière de formation et de compétences.

Les jeunes ne devraient-ils pas être associés à la construction de leur présent et de leur avenir ?

L’absence de vision est épisodiquement le charme de notre quotidien. Il y a trente ans, on a parlé du programme «un maîtrisard, une boulangerie», il y a moins d’une dizaine d’années, un plan «Reva» (Retour vers l’agriculture) et présentement d’une politique de «Vacances citoyennes». Je ne sais pas si on va se donner les moyens de comprendre pourquoi ces programmes, plans et politiques annoncés à grande pompe, n’ont pas donné les résultats escomptés. L’emploi, un enjeu de sécurité nationale, est tellement sérieux que sa gestion nécessite de la rigueur. La création d’un Observatoire de l’emploi, permettant la prospection et la prospective, avec une  vision à la fois accélérateur de croissance et attracteur de talents, me paraît être une solution durable.

Les émigrés restent des acteurs incontournables de la vie économique des pays d’origine. Comment les Etats peuvent-ils renforcer cette dynamique?

La recherche, au même titre d’ailleurs que les politiques, est toute contente de rappeler les transferts d’argent des émigrés Sénégalais. Au mois de juillet, il a été partout rappelé que plus de 842 milliards FCFA, estimés au cours de l’année 2014, ont été envoyés par des émigrés sénégalais. Je pense que la question de l’émigration ne doit pas se limiter à l’envoi des fonds. L’urgence est de voir comment faire pour que les ressources de la diaspora, tant financières que non financières, puissent démultiplier les efforts de développement familiaux, communautaires et nationaux dans les pays d’origine. La priorité pour les politiques devrait être la mise en place des partenariats stratégiques crédibles et stables entre les Etats, les organisations internationales, la société civile et le secteur privé. Partenariat qui fournirait un cadre permettant de mobiliser les diasporas et de leur donner les moyens de partager et de transférer leurs ressources dans leur pays d’origine. C’est de cette manière que la diaspora se sentira soutenue.

Les politiques migratoires ne devraient-elles pas  aider les émigrés à réussir le retour dans leur pays ?

Il ne s’agit pas uniquement d’encourager le retour des migrants au pays d’origine. Je pense qu’il faut plutôt des politiques migratoires qui, entre autres, incitent les Etats à s’appuyer sur leurs relations avec les banques régionales et les institutions du secteur des finances pour soutenir leurs diasporas à développer des idées innovantes et capables de contribuer aux investissements et de participer à l’essor du secteur privé afin de créer des emplois. La politique migratoire qu’il nous faut c’est celle qui encourage nos Etats à connaître leurs diasporas ; celle qui promeut la mobilisation des diasporas dans les pays d’origine et de destination, en mettant en place un environnement politique et réglementaire favorable qui permettrait au potentiel des diasporas de porter du fruit. Il nous faut mobiliser la diaspora pour bénéficier de ses connaissances et compétences, de son expérience, de ses ressources humaines et financières. Faire en sorte que des experts hautement qualifiés de la diaspora africaine puissent être recrutés sans qu’il soit nécessaire de les relocaliser physiquement, en les considérant comme des réseaux plutôt que des entités individuelles et en leur permettant d’assurer des prestations de services par interaction virtuelle.