« Cela fait 3 mois que je suis bloqué ici » : au nord du Niger, la longue attente des refoulés d’Algérie pour rentrer chez eux

« Cela fait 3 mois que je suis bloqué ici » : au nord du Niger, la longue attente des refoulés d’Algérie pour rentrer chez eux

17 novembre 2022 Non Par Fatou Kane

Des Maliens sont partis. Des Guinéens les ont suivis. D’autres migrants issus d’une demi-douzaine d’autres pays africains, tous refoulés d’Algérie, sont également rentrés chez eux grâce au mécanisme de rapatriement volontaire de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM). Mais Kabirou Youssouf, originaire du Nigeria, est toujours là, bloqué dans la petite cité minière d’Arlit dans le nord du Niger.

« Cela fait maintenant 3 mois que je suis bloqué ici, après avoir déjà avoir patienté un mois à Assamaka », déplore le migrant de 30 ans. Demeurer si longtemps au Niger n’a jamais fait partie de ses plans: Kabirou Youssouf travaillait dans l’agriculture en Algérie quand il s’est fait arrêter et sommairement expulser comme des dizaines de milliers d’autres Africains subsahariens.

Son compatriote Husseimi Hamissou, 27 ans, opine du chef. Lui aussi attend depuis quatre mois de pouvoir rentrer chez lui à Kano, dans le nord du Nigeria.

 

Husseimi Hamissou (à gauche) et Kabirou Youssouf dans les rues d'Arlit à la recherche de travail. Les deux Nigérians attendent depuis plus de quatre mois de pouvoir rentrer chez eux. Crédit: Mehdi Chebil
Husseimi Hamissou (à gauche) et Kabirou Youssouf dans les rues d’Arlit à la recherche de travail. Les deux Nigérians attendent depuis plus de quatre mois de pouvoir rentrer chez eux. Crédit: Mehdi Chebil

Nous rencontrons les deux jeunes dans les rues poussiéreuses d’Arlit, localité célèbre pour ses mines d’uranium. A la recherche d’un petit boulot de maçonnerie, ils portent des vêtements de rechange dans un sac plastique. S’ils trouvent du travail, ils recevront entre 1000 et 1500 francs CFA par jour (équivalents à 1,50 et 2,30 euros).

Les deux jeunes Nigérians se sont enregistrés auprès de l’OIM pour être rapatriés mais, à mesure que les jours se transforment en semaines, puis les semaines en mois, ils commencent à perdre espoir. « Ça fait mal de voir les autres nationalités passer avant nous, alors que nous sommes là depuis plus longtemps! », s’exclame Kabirou Youssouf.

Husseimi Hamissou a été frappé au visage par un garde algérien lors de son expulsion; son oeil a été touché. La blessure s'est aggravée avec le vent du désert et le sable. Il affirme désormais ne quasiment plus voir de l'oeil gauche. Crédit: Mehdi Chebil
Husseimi Hamissou a été frappé au visage par un garde algérien lors de son expulsion; son oeil a été touché. La blessure s’est aggravée avec le vent du désert et le sable. Il affirme désormais ne quasiment plus voir de l’oeil gauche. Crédit: Mehdi Chebil

Lors d’une interview, l’OIM a reconnu des blocages temporaires mais fermement nié avoir donné la priorité à certaines nationalités plutôt que d’autres.

« La majorité des migrants ici sont francophones, notamment Guinéens et Maliens, et ça peut donner aux autres la fausse impression qu’ils sont privilégiés (…) Mais la règle est très claire, les rapatriements suivent l’ordre des arrivées », affirme Joseph Dück, gestionnaire du centre de l’OIM d’Agadez.

Le responsable invoque des motifs sanitaires, sécuritaires, et consulaires pour expliquer les récents retards. De manière générale, l’OIM est tributaire des processus imposés par les États d’origine pour délivrer les laissez-passer. Chaque nouvelle exigence de ces derniers – entretiens en vidéoconférence avec le migrant, vaccination covid, formulaires roboratifs, etc – entraîne un peu plus de retard pour les migrants originaires de ces pays.

Dans le cas du Nigeria, des convois terrestres de 200 personnes planifiés de longue date ont dû être annulés en raison de la détérioration sécuritaire dans le nord du pays. Les formalités à remplir pour rapatrier les ressortissants nigérians sont également plus compliquées que pour d’autres nationalités, avec de nombreuses données à collecter pour une plate-forme gérée par un prestataire extérieur.

Engorgement de l’axe Assamaka – Arlit – Agadez

Au moment de la visite d’InfoMigrants vers la mi-novembre, tous les camps de transit d’Assamaka, d’Arlit, et d’Agadez étaient en situation de surchauffe. Il y avait ainsi plus de 1500 individus au centre d’Agadez – dont plus d’un tiers de Nigérians – pour une capacité de 1000 personnes.

L’exemple le plus frappant reste Assamaka, premier village sur le chemin des refoulés d’Algérie, où plusieurs milliers de migrants dorment dehors en attendant leur évacuation*.

« Quand on est arrivé, on s’est enregistré auprès de la police nigérienne, qui nous a bien accueilli », se remémore Brahim Dramé, un Malien arrivé le 1er novembre à Assamaka. « Ensuite on s’est présenté à l’OIM et on nous a dit qu’il n’y avait plus de place. On n’a pas eu de couverture les premiers jours et j’ai dû me glisser dans un sac en jute pour me couvrir pendant la nuit ». Le délégué du groupe des Maliens, Fouméké Diarra, estime que près d’un millier des ces compatriotes refoulés d’Algérie sont présents à Assamaka depuis une période qui varie « entre dix jours et deux mois ». Plusieurs migrants ont exprimé leur frustration de voir leur date de départ d’Assamaka plusieurs fois repoussée.

 

La plupart des migrants à Assamaka dorment à l'extérieur, en se protégeant comme ils peuvent du vent qui fait tomber les températures pendant la nuit. Crédit: Mehdi Chebil
La plupart des migrants à Assamaka dorment à l’extérieur, en se protégeant comme ils peuvent du vent qui fait tomber les températures pendant la nuit. Crédit: Mehdi Chebil

Leur départ d’Assamaka ne sera possible que si les camps d’Arlit et d’Agadez plus au sud sont désengorgés. Joseph Dück, le gestionnaire du centre OIM d’Agadez, évoque une « situation extraordinaire » et pense que les blocages vont se résorber rapidement.

Des afflux de refoulés imprévisibles

Mais de nombreux facteurs ne dépendent pas de l’organisation internationale. Le Covid a ralenti les opérations, tout comme l’épidémie de coups d’État dans la région – Mali en 2020 et 2021, Guinée-Conakry en 2021, Burkina Faso en 2022 – qui entraînent régulièrement des fermetures temporaires de frontières.

Le portail du camp de l'OIM à Arlit. Crédit: Mehdi Chebil
Le portail du camp de l’OIM à Arlit. Crédit: Mehdi Chebil

Surtout, le fait que le Niger ne contrôle pas réellement sa frontière avec l’Algérie signifie que les flux de migrants refoulés ne sont absolument pas régulés en amont. Comme l’a raconté InfoMigrants dans un précédent reportage, les autorités algériennes déposent tous les Africains subsahariens expulsés, indépendamment leur nationalité, à un lieu nommé Point-Zéro au milieu du désert, qui marque la frontière entre les deux pays.

« On traite environ 100 procédures de profilage* par jour, ça prend donc environ 10 jours pour faire 1000 personnes », confie à InfoMigrants un agent de l’OIM qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement au nom de l’organisation. « Le problème est que dès qu’on déplace des migrants, l’Algérie en envoie d’autres. Ça dépasse nos capacités ».

 

* Si la grande majorité des expulsés d’Algérie prend contact avec l’OIM pour un rapatriement volontaire, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ceux qui parviennent à bénéficier de transferts d’argent peuvent décider de repartir par leurs propres moyens, soit vers le Maghreb pour continuer leur chemin d’exil, soit vers leur pays d’origine.

** Le profilage est la procédure visant à identifier correctement les migrants, indispensable pour déterminer correctement leur nationalité et donc le pays où ils seront rapatriés. Cette formalité est évidemment plus longue pour les nombreux cas où les migrants n’ont pas de papiers d’identité en leur possession.