Le décès d’un Géorgien met en lumière les conditions de rétention en Belgique

Le décès d’un Géorgien met en lumière les conditions de rétention en Belgique

20 février 2023 Non Par Fatou Kane

Un Géorgien enfermé au centre de Merksplas, en région flamande dans la province d’Anvers, est décédé mercredi 15 février. L’homme, âgé de 40 ans et arrivé au centre une vingtaine de jours auparavant, menait une grève de la faim.

Il se trouvait « à l’isolement médical. En grève de la faim depuis plusieurs jours, il avait été placé en chambre individuelle et un médecin venait le voir tous les jours », expose Jérémy*, membre du collectif Getting the Voice Out, qui est en lien avec les retenus de différents centres fermés en Belgique. Grâce aux témoignages des co-retenus, le collectif tente d’enquêter sur ce qu’il s’est passé et d’en savoir plus sur le profil de l’homme.

Le parquet a ouvert une enquête dans la foulée du décès. Il a conclu, ce vendredi 17 février, à « un décès de mort naturelle », affirme Dominique Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers, jointe par InfoMigrants. « Le parquet a décidé que le corps pouvait être rendu à la famille. »

« La personne décédée a été vue une demi-heure avant son décès par un membre du staff médical. Rien ne permettait de penser que son état de santé se dégradait, ni d’établir, encore maintenant, un lien de cause à effet entre la grève de la faim et son décès. Les paramètres étaient tous normaux », soutient encore Dominique Ernould.

De son côté, Jérémy a reçu un témoignage d’un co-retenu selon lequel le « médecin refusait de lui fournir une assistance médicale tant qu’il ne se remettait pas à manger ». Pour l’heure, difficile de croiser les informations émanant du centre. « On essaie de mobiliser d’autres leviers, d’avoir accès au dossier médical. »

Dubliné en France

D’après les informations du collectif Getting the Voice Out, l’homme était père de trois enfants séjournant en France, où vit également sa compagne. « Sa femme lui rendait visite au centre », souligne Jérémy. « Je suppose que son épouse avait un titre de séjour légal en France », confirme Dominique Ernould.

D’après l’Office des étrangers, l’homme était dubliné en France. L’administration belge souhaitait donc l’y transférer, la France étant le pays responsable de sa demande d’asile. « Sa demande de transfert devait être traitée par la France. Mais la France a refusé de le reprendre. D’où sa grève de la faim », affirme Dominique Ernould.

« C’est toujours très triste de devoir acter un décès dans un centre fermé. Cela reste des accidents dramatiques que l’on essaie d’éviter au maximum », insiste la porte-parole.

« On a des droits, quand même« 

Au maximum ? Le collectif Getting the Voice Out recueille régulièrement des témoignages de retenus affirmant, à l’inverse, manquer de soins.

Joint par téléphone depuis le centre de Merksplas, Ali* déroule une liste d’exemples constatés autour de lui. Il cite « un monsieur qui avait une infection au pied », mais que les autorités du centre « n’ont pas voulu amener à l’hôpital », un autre qui « avait très mal aux dents et n’a pas pu voir de dentiste ». Ou encore, un jeune Algérien de 22 ans qui « a tenté de se suicider ». « Ils l’ont ramené dans une autre chambre avec une caméra pour l’observer », continue Ali.

Selon lui, l’assistance psychologique est insuffisante, et le dialogue avec l’équipe médicale, compliqué. « Ce ne sont pas des médecins, ce sont des vétérinaires. On dirait qu’ils nous parlent comme à des animaux, même si certains parlent plus calmement », dénonce-t-il.

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Lui-même, âgé de 48 ans et souffrant de myopie, a demandé à aller voir un ophtalmologue : « On m’a dit non ». « D’accord, on est en situation irrégulière en Belgique. D’accord, on est enfermés. Mais on a des droits, quand même. Et nos droits sont bafoués », fustige-t-il.

Interrogé sur le sujet, l’Office des étrangers assure que le dispositif en place est suffisant pour répondre aux besoins : un médecin, quatre infirmières, un psychologue et un assistant psychologue sont présents au centre tous les jours. « Après, si la personne doit avoir des soins plus spécifiques ou voir un médecin spécialisé, elle est transférée dans un hôpital », soutient Dominique Ernould.

Protestations collectives

Lorsque la nouvelle du décès s’est répandue mercredi, un mouvement de protestation a été entamé par des co-retenus dans le centre.

« On n’est pas allé manger, collectivement. Au bloc 3, certains ont cassé des choses, pour montrer leur colère », raconte Ali. « Tout le monde était sous le choc. C’est extrêmement tendu en ce moment », confirme de son côté Jérémy.

« La police est intervenue pour calmer les esprits. Certains résidents ont été isolés à l’intérieur du centre, mais personne n’a été emmené par la police. Entre-temps, le calme est revenu”, a déclaré Paulien Blondeel, porte-parole du département de l’immigration, à la presse belge.

Ali précise, lui : « Les agents de police sont venus et la moitié du bloc 3 a été envoyée au cachot ». Le cachot ? Un lieu d’isolement situé dans le bloc 5 du bâtiment.  » C’est une cellule vide, avec un seul lit, deux couvertures, c’est tout, et on y reste 24 heures. C’est comme une punition. »

D’autres grèves de la faim en cours

Depuis le décès du Géorgien, trois de ses compatriotes se sont mis en grève de la faim dans le centre de Merksplas, nous indique Ali. Même pour un autre homme, âgé de 70 ans. « Cela fait deux, trois semaines qu’il est là. Le ramener ici, à 70 ans… Quel cœur a le policier qui a fait ça ? »

L’Office des étrangers, de son côté, affirme n’avoir pas connaissance d’autres grèves de la faim en cours. Mais Dominique Ernould reconnaît que cet acte est « courant ». « Généralement, ce sont des grèves de la faim qui ne durent pas longtemps. C’est une façon pour la personne de faire pression », estime la porte-parole.

« Il y a des grèves de la faim car les gens ici n’ont pas espoir », s’attriste Ali. Lui vivait depuis plus de 20 ans en Belgique. Il a été arrêté il y a cinq mois, et n’a pas bougé de ce centre depuis. En Belgique, la durée de rétention en centre fermé est, en théorie, limitée à deux mois. Sauf que ce délai est prolongeable une fois sous certaines conditions. « Puis, à nouveau jusqu’à huit mois maximum sur décision du Ministre », explique le Ciré dans son rapport 2019 sur les centres fermés.

Des délais de rétention pouvant aller jusqu’à 18 mois

Surtout, l’administration belge a la possibilité de « remettre les compteurs à zéro en cas de renouvellement du titre de détention – par exemple, s’il y a demande d’asile – ou bien en cas de tentative d’expulsion échouée parce que le détenu [terme employé par le Ciré pour faire référence aux retenus, ndlr] s’est opposé à son expulsion ». C’est ce qu’il s’est passé pour Ali, qui s’est opposé une fois à son expulsion vers son pays d’origine.

« Les avocats des personnes retenues peuvent faire un recours auprès de La Chambre du Conseil, à intervalles réguliers. Mais c’est compliqué, il faut répondre à tout un tas de conditions pour espérer une sortie », observe Jérémy.

Dès lors, la rétention en Belgique ne connaît pas de réelle limite dans le temps, hormis les dix-huit mois prévus par la directive européenne « retour » (voir chapitre IV de cette directive votée en 2008). « Ici, ils dépassent les limites », témoigne Ali. « J’ai vu des gens qui étaient là depuis six, huit, dix mois, parfois jusqu’à 18 mois. »

la Belgique double ses places en centres fermés pour renvoyer un plus grand nombre de sans-papiers

« La politique de retour ‘à tout prix’ semble de plus en plus être une politique symbolique qui vise principalement à convaincre la population que les autorités font le maximum. Pourtant, cette politique s’avère très largement inefficace dans ses résultats, coûteuse humainement comme financièrement », écrivait le Ciré dans une analyse parue fin 2019.

Fin mars 2022, le gouvernement belge a annoncé la construction de trois nouveaux centres fermés et un centre de départ, ajoutant ainsi 500 places supplémentaires. Objectif affiché : multiplier les expulsions. Ces centres devraient sortir de terre entre 2024 et 2029.