Jack, Camerounais installé au Maroc : « L’Europe n’est pas la solution à tout »

Jack, Camerounais installé au Maroc : « L’Europe n’est pas la solution à tout »

20 mars 2023 Non Par Fatou Kane

Jack est arrivé au Maroc en 2010 avec l’espoir de rejoindre l’Europe rapidement. Mais après plusieurs tentatives, le Camerounais abandonne son rêve et décide de s’installer dans le royaume. Agé aujourd’hui de 45 ans, il essaye désormais de dissuader les migrants de prendre la mer au péril de leur vie. Témoignage.

« Je suis venu au Maroc avec la ferme intention d’aller en Europe. C’était en 2010. Pendant trois ans, j’ai essayé à plusieurs reprises de rejoindre l’Espagne : soit, j’étais arrêté en mer par les autorités marocaines, soit je n’arrivais pas à franchir la barrière de Ceuta [enclave espagnole au nord du Maroc, ndlr].

Au bout d’un moment, j’en ai eu marre de vivre dans ces conditions et j’ai rejoint la ville de Rabat. Je me suis dit qu’il fallait aller ‘chercher la vie’.

Les migrants qui tentent d’entrer en Espagne via la voie terrestre de Ceuta ou Melilla se cachent dans les forêts alentours. Des petits camps se constituent, dans le dénuement total. Les exilés sont régulièrement chassés par la police, qui détruit leurs abris de fortune.

En 2014, j’ai pu profiter de la vague de régularisation menée par les autorités.

J’ai travaillé comme agent de sécurité à l’ambassade du Cameroun pendant des années. En parallèle, j’ai commencé à pratiquer la boxe. Très vite, j’ai entrainé des boxeurs pendant mon temps libre, le plus souvent le week-end.

Fin 2013, le Maroc a lancé une vaste campagne de régularisation des sans-papiers. Environ 18 000 migrants ont obtenu des papiers en règle grâce à cette opération exceptionnelle.

« Je suis l’homme le plus heureux »

Aujourd’hui, je continue mes activités dans le sport. Entraineur est devenu mon emploi principal. De temps en temps, je fais encore des petites missions de sécurité mais c’est moins fréquent qu’avant.

En 2018, ma femme m’a rejoint au Maroc. Mes trois premiers enfants sont restés au Cameroun avec ma mère car il est difficile de les faire venir. J’espère qu’ils seront bientôt à nos côtés. L’an dernier, nous avons eu notre petite dernière, qui est née ici.

Je suis l’homme le plus heureux, je suis fier de ce que j’ai accompli. J’ai une belle vie avec ma femme. Elle travaille dans une crèche. Je n’ai aucun regret de ne pas être allé en France. Je ne rêve plus d’Europe. Je suis bien ici désormais et je sais que je peux maintenant aller légalement en Europe, avec un visa. Quand on travaille, les choses sont plus faciles.

J’essaye de dissuader les migrants de prendre la mer. C’est trop dangereux. Il y a trop de morts. Beaucoup d’entre eux ont un rêve mais ne se focalise pas sur le réel. Je tente, en leur racontant mon histoire, de les faire changer d’avis.

On peut s’intégrer au Maroc si on en a la volonté. L’Europe n’est pas la solution à tout. On peur mener une bonne vie ici aussi. J’ai traversé des choses vraiment dures, je mangeais dans les poubelles, je dormais dehors… Je ne veux pas que les jeunes vivent ce que j’ai vécu. Je veux plutôt les accompagner dans la voie de l’intégration.

J’estime que sensibiliser les gens est primordial : on ne peut pas les laisser mourir sans rien faire. »